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Football factory

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Il faudra bien un jour que j’arrête d’encenser systématiquement les romans de John King, mais aujourd’hui ne sera pas ce jour.

Si j’avais été estourbi par Aux couleurs de l’Angleterre, et sagement ravi par Human punk, la lecture de Football factory, premier volume de l’informelle « trilogie du football » de King n’était que plus intense et goûtue grâce à l’anticipation que j’avais à le découvrir.

C’est dans cet opus que la structure de cette trilogie semble prendre naissance, à savoir une alternance bancale de points de vue narratifs, de voix et de situations.

D’entrée le protagoniste-phare de la série est là : Tommy, dit Tommy le fan de Chelsea ou Tommy le psycho, qui donne le ton à travers les chapitres intitulés selon les rencontres (foot)balistiques que la « firm » (un sorte de club très informel de supporters, dont le but est avant tout une vigoureuse libération cathartique de différentes humeurs peu constructives engrangée au cours d’une vie quotidienne abrutissante de frustrations par le biais de cassage de gueule spontanés et collectifs) de Chelsea subit ou fait subir au gré des matchs de championnat national. Ces occurrences sont l’occasion pour Tommy de donner son point de vue sur la vie, l’univers et toutes sortes de choses. L’intérêt réside évidemment ici dans la contradiction entre la (relative) sensibilité de Tommy, premier à admettre des noirs dans la « firm » tant qu’ils adhèrent à ses principes et la violence aveugle et totale de son activité principale, avant tout basée sur l’appartenance aux différentes « tribus » (les « juifs » de Tottenham que tout le monde déteste, les « scousers»  de Liverpool, tous des voleurs, les « pakis » sur qui tout le monde tape mais également chez qui tout le monde se nourrit). Il est également le premier à relever la stupidité des mesures sécuritaires britanniques initiées sous le gouvernement conservateur des années quatre-vingt, mais uniquement pour mieux pouvoir casser du supporter adverse. Son point de vue sur les forces de l’ordre, tout judicieux qu’il soit, sera aussi fermement contrecarré par ses expériences personnelles. Bref, Tommy incarne la schizophrénie des bas étages britanniques dans toute sa splendeur.

Il y a aussi Bill, qui n’est pas encore prêt à quitter l’ornière dans laquelle le décès de sa femme, survivante des camps d’extermination nazis, l’a plongé.

Laissez-moi vous dire une chose : si je peux vous affirmer que Bill est représentatif de cette génération sacrifiée, dernière incarnation du Britannique flegmatique, c’est parce que le portrait de ce personnage est tellement bien brossé, dans son désarroi et dans son courage, qu’il m’a fait pleurer. Je veux bien que verser des larmes sur une lecture soit un critère un petit peu subjectif, c’était pourtant pour moi suffisant.

Et enfin Vince, petit-fils de Bill, hooligan par défaut, qui cherche avant tout une échappatoire à ce qu’il perçoit comme le carcan de la société qu’il habite. Et autant Tommy le tapeur penchera du côté de la mort et de la destruction, autant Vince est immanquablement attiré par la beauté, la curiosité pour autrui et la tolérance.

Mais je m’étends pour pas grand-chose ; ce roman est l’amorce d’une œuvre véritablement significative pour quiconque a (encore) quelque curiosité pour les derniers soubresauts de l’humanité britannique.

On a l’impression de voir de trop près un brasier qui se consume, de souffrir quelques brûlures mais de voir quelque chose de fascinant, sachant que l’intensité de l’expérience ne va aller qu’en diminuant, pour finalement s’éteindre, ne laissant derrière elle que de noires traces charbonneuses.

This is England.

KING, John. Football factory. Paris, Olivier, 2004. 363 p.

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